Nicolas Chatelet : 1000 kilomètres pour toucher l’essentiel

À peine quelques jours après avoir accompli l’exploit de remporter la toute première édition de la Race Across Spain, Nicolas Chatelet a ouvert sa porte à 3bikes.fr pour une entrevue exclusive… Encore marqué par la fatigue de cette traversée épique de 1000 kilomètres, mais avec l’œil pétillant de ceux qui reviennent d’un voyage intérieur, il nous a raconté avec sincérité, intelligence et émotion ce que signifie repousser ses propres limites. Son récit est une leçon de dépassement, mais surtout une invitation à croire en l’essentiel.

Par Jeff Tatard – Photos : ©Julien Rabier / DR / Instagram Raceacrossseries

Tout commence par un hasard de calendrier. Professeur de mathématiques, Chatelet scrute depuis deux ans les dates de la Race Across France, sans jamais pouvoir y participer, coincé par ses obligations scolaires. Mais cette fois, l’Espagne lui tend les bras. Les vacances scolaires correspondent. Le destin est en marche.

L’objectif ? D’abord finir.

Dans l’univers rude de l’ultracyclisme, viser une place n’a pas grand sens : trop de paramètres échappent au contrôle. “Mon seul objectif était un temps : 40 heures”, explique Nicolas. Un défi personnel, pur, loin des podiums et des projecteurs.

Le jour du départ, à Santander, la tension est palpable. Naviguer en suivant une trace GPS dans une grande ville inconnue, sans se tromper entre les pistes cyclables, n’est pas chose naturelle pour lui. Mais une fois l’agglomération dépassée, les kilomètres s’étirent, la route se déroule, et l’aventure peut commencer.

Nicolas Chatelet : 1000 kilomètres pour toucher l'essentiel
Seul face à l’horizon, quand la route semble ne jamais finir et que seul l’essentiel compte. ©Julien Rabier

La solitude sur 1000 kilomètres ?

… Nicolas Chatelet l’embrasse pleinement. Pas de musique dans les oreilles. Pas de distraction. Juste le vent, son souffle et ses pensées qui vagabondent. “Ce sont ces moments que je cherche, confie-t-il, passer de l’euphorie à la détresse en quelques minutes, apprendre à accueillir les deux.”

Parmi les plus beaux souvenirs de cette Race Across Spain, il évoque une portion partagée dans la nuit avec Damien Vuillier, référence absolue dans l’univers des épreuves ultra de 1000 km. “Ces instants de connivence dans l’obscurité restent gravés.” Et puis, il y a les bénévoles, leur sourire, leur humanité, qui deviennent autant de points de repère dans la traversée de l’effort.

Nicolas Chatelet : 1000 kilomètres pour toucher l'essentiel
Au-delà du défi physique, c’est surtout une histoire d’humains. Ceux qui t’épaulent, te lisent à travers un regard, et te portent dans les moments durs. « Merci à eux. Merci à tous. L’aventure continue. »

Mais la course n’a rien d’un long fleuve tranquille. La dernière nuit est une épreuve terrible : 250 kilomètres avec seulement deux bidons, après avoir égaré un ravitaillement crucial. La soif ronge, la lucidité vacille.

Mais là encore, l’expérience parle. Chercher une fontaine, se souvenir des cartes Open Runner, s’adapter, ne jamais paniquer. “Je m’entraîne à rouler déshydraté”, lâche-t-il dans un demi-sourire. Un entraînement que peu oseraient tenter, mais qui, ce soir-là, sauve la course.

La victoire de Nicolas Chatelet ne repose pas sur un éclat.

Elle est l’aboutissement d’une gestion d’effort millimétrée, d’une préparation intelligente. Son entraînement, inspiré de celui des coureurs élites, mêle intensité et volume, avec des semaines de choc pouvant atteindre 45 heures de selle. Ajoutez à cela une hygiène mentale impeccable : arrêt de la caféine avant la course, zéro dette de sommeil, capacité à fractionner mentalement la distance.

Son équipement, lui, reste minimaliste : un Cannondale monté avec prolongateurs, un strict nécessaire pour l’alimentation et la sécurité, et une autonomie quasi totale entre les bases de vie. Surtout, Chatelet adopte une philosophie de l’ultra d’une grande profondeur : “Un 1000 kilomètres, c’est comme répéter 100 fois mon trajet quotidien en vélo-taff. Si un trajet est facile, pourquoi 100 ne le seraient-ils pas ?

Nicolas Chatelet : 1000 kilomètres pour toucher l'essentiel
L’essentiel, rien de plus : nutrition, réparation, sécurité. Le minimalisme au service de la victoire.

Cette logique de la simplicité est son arme secrète. En décomposant l’effort en gestes élémentaires, il rend l’impossible accessible.

Pourquoi s’infliger de telles épreuves ?

La réponse tient en quelques mots : “Pour voyager avec moi-même.” Nicolas Chatelet ne court pas après la gloire, ni même après la victoire. Il court pour traverser ses propres ombres, pour toucher ses propres lumières.

Et il apprend à chaque kilomètre. La course lui rappelle, par exemple, que le corps possède une plasticité fascinante : blessé à la main avant l’épreuve, incapable de tenir son guidon, il découvre que, dans l’effort, son corps sait compenser, réinventer ses gestes.

Aucune stratégie mentale complexe, pas de mantras mystiques : seulement l’amour de l’effort brut, et la capacité à ne pas dramatiser les moments difficiles. À l’arrivée, à Madrid, c’est une scène d’une rare beauté. Pas d’effusion spectaculaire, mais des accolades, des sourires sincères partagés avec les bénévoles et les autres coureurs. La fatigue n’empêche pas la gratitude. « Les récompenses étant remises 40 heures plus tard, on a le temps de voir les suivants arriver, de discuter, de partager. C’est magique. »

Nicolas Chatelet : 1000 kilomètres pour toucher l'essentiel

Déjà, Nicolas Chatelet regarde plus loin. L’été prochain, il prendra le départ de la mythique Transcontinental Race, l’une des épreuves les plus exigeantes du monde. Pour cette nouvelle odyssée, il bénéficiera du soutien des Cycles Lekeuss et du groupe Brame.

Son ambition ne change pas : « explorer ses limites, avec humilité et passion« . Et à ceux qui rêvent de franchir eux aussi le pas vers l’ultra, son conseil est clair : “Lancez-vous. Peu importe l’épreuve, peu importe le format. Osez. C’est en faisant qu’on apprend.

Nicolas Chatelet : 1000 kilomètres pour toucher l'essentiel

En franchissant la ligne d’arrivée de la Race Across Spain, Nicolas Chatelet a fait bien plus que traverser un pays. Il a rappelé à chacun d’entre nous que le plus grand voyage est souvent celui que l’on entreprend en soi. Kilomètre après kilomètre. Rêve après rêve.

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Jean-François Tatard

- 44 ans - Athlète multidisciplinaire, coach en vente et consultant sportif. Collaborateur à des sites spécialisés depuis 10 ans. Son histoire sportive commence quasiment aussi vite qu’il apprend à marcher. Le vélo et la course à pied sont vite devenus ses sujets de prédilection. Il y obtient des résultats de niveau national dans chacune de ces deux disciplines.

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