Partager la publication "« Mon Étape du Tour 2024 »"
Nicolas S. nous offre le compte-rendu de son Étape du Tour 2024, une épreuve qu’il a vécu dans la souffrance. Au point de s’interroger sur ses prochains objectifs. Les maux de la fin ?
Par Nicolas S. – Photos : Sportograf.com / DR
« Samedi 6 Juillet, il est aux alentours de 6h30 à Nice devant l’hôtel IBIS de Nice Lenval et je m’apprête à me rendre vers le SAS 1 de l’Etape du Tour 2024. Je suis en compagnie d’Antoine et Fabien et nous attendons que les autres copains se décident à descendre pour que nous puissions prendre la route.
Une longue préparation
De nombreux mois se sont écoulés depuis la présentation du Tour au Palais des Congrès et l’annonce du parcours de la cuvée 2024 de l’Etape du Tour. Pas de surprises me concernant, j’avais déjà bien en tête que nous aurions à nous rendre à Nice pour participer à la plus prisée des cyclosportives françaises. Aucun grand col mythique du Tour, aucune pente au-delà de 8 %, aucun replat pour se refaire la cerise mais des ascensions particulièrement longues tout au long des 138 km, 4 cols et 4600 m de dénivelé que nous aurons à parcourir si toutefois nous nous décidons à nous inscrire. Je ne suis pas hyper emballé par le tracé et je suis déjà inquiet par la galère logistique que représente cette Etape. Nice c’est à minima 9h00 de route en voiture depuis la maison, je n’envisage pas une seule seconde d’utiliser le train ou l’avion ne sachant pas voyager léger. La ligne d’arrivée est particulièrement éloignée de Nice et je commence à me creuser la tête pour savoir comment nous allons pouvoir assurer le retour sans avoir à nous taper 80 bornes de vélo en plus du parcours officiel. Je n’ai pas encore payé la centaine d’euros nécessaire à l’obtention d’un dossard mais je me projette quand même sur l’organisation, c’est plutôt bon signe.
Comme pour l’Etape 2023 je confie la gestion de mon programme d’entrainement à mon coach à la différence près qu’il me conseillera dès l’automne, contre début avril, ce qui lui laissera beaucoup plus de temps pour mettre en place les bases. Les premières consignes hebdomadaires tombent pour début novembre et je me retrouve à courir et nager chaque semaine. Je prends ça en bougonnant pour commencer mais rapidement je trouve un certain plaisir à diversifier mon activité physique et me mets même à penser que je pourrais assez facilement poursuivre la course à pied tout au long de l’année. Bien entendu, la sortie foncière dominicale plus ou moins longue a toujours sa place dans le programme et très rapidement celle-ci intègre des efforts plus ou moins longs et plus ou moins intenses.
Le début de l’année 2024 arrive assez vite et je me dis que j’ai encore beaucoup de temps pour peaufiner ma forme d’ici le mois de juillet, ce qui a tendance à me rassurer. Dans ma tête il ne fait aucun doute que je serai plus fort cette année que sur mes deux premières participations et je ne vois aucune raison de ne pas enfin atteindre l’un de mes graals cyclistes en rentrant dans le Top 1000 du classement de l’Etape.
Ce sentiment est renforcé par le programme que me concocte mon coach avec beaucoup plus de variétés d’intensité d’efforts et surtout l’obligation de m’aligner sur La Jacques Gouin tout début mars pour valider le début de préparation. La Jacques Gouin est une espèce d’institution en Ile-de-France qui se déroule chaque année dans le sud de la région sur un parcours de 115 bornes souvent soumis au vent et à la pluie. Mon inscription tardive me repousse assez loin sur la ligne de départ et je dois pas mal batailler pour accrocher le gros du peloton qui part tambour battant sous l’impulsion de nombreux coursiers et coureurs Belges dont quelques gros noms du milieu cyclosportif voire ex-pro. Je ne me fixe pas d’objectif particulier sur cette grosse sortie très rythmée en dehors de ne pas finir pas trop loin de quelques connaissances qui ont l’habitude de figurer dans la première partie du classement. Les 3h15 de course filent à toute vitesse, les dernières bosses du parcours cassent bien les jambes. Je suis plutôt satisfait des quasi 35 km/h de moyenne et 228 Watt normalisés que je réalise ce dimanche matin et j’en conclus que les premiers mois d’entrainement sont conformes aux attentes en prévision des objectifs à venir. Je sors une fois de plus de mon habituelle zone de confort et je rentre à la maison gonflé à bloc pour attaquer le gros de la préparation.
Printemps pluvieux
Les sorties se font de plus en longues et les exercices sur home-trainer s’enchainent avec une régularité qui force le respect de pas mal de mes potes. Mes seuls créneaux disponibles au milieu de ma vie professionnelle et surtout personnelle se trouvent le mercredi soir bien souvent au-delà de 21h30 et le vendredi midi en profitant du télétravail. Les séances du mercredi ne sont pas toujours faciles à encaisser tant au niveau physique que de la motivation. Je les redoute souvent quand je vois que je dois enchainer des 30/30 ou faire des exos à des puissances soutenues sur des périodes de temps assez longues. Mais je m’accroche, je me demande régulièrement pourquoi je fais ça et si ça en vaut la peine, mais je m’accroche.
Je continue à dévorer tout ce qui se fait en podcast sur l’entrainement et la nutrition, je suis notamment devenu un adapte inconditionnel des épisodes de Cyclismes et Performance que je trouve à la fois hyper précis tout en étant particulièrement accessibles pour le commun des mortels. Mes sorties du dimanche se déroulent, pour cette année, assez régulièrement seul. Ces longs moments en solo couplés à la météo 2024 qui est très loin d’être parfaite pèsent beaucoup sur l’envie et me font régulièrement remonter l’idée de tout envoyer balader. Comme sur l’home-trainer je m’accroche tant bien que mal en pensant aux jours meilleurs et en anticipant la future satisfaction d’une étape réussie.
Ces longues virées en endurance sont encore et toujours l’occasion d’entrainer mon corps à absorber autant de glucides que possibles. Je rentre à la maison en fin de matinée avec les poches remplies de déchets qui me permettent de faire les comptes sur les doses ingurgitées, j’atteins régulièrement les 70 à 80 g/h. Il y a désormais certaines marques de produits diététiques que je ne peux plus voir tellement j’en ai bouffé.
Les premières vidéos et articles de reconnaissance de l’Etape 2024 font leur apparition sur Internet. Là aussi je regarde et lis assidument tout ce qui est publié par Les Watts, Pédaleur ou 3bikes en vue de décortiquer ce qui nous attend en juillet. Un message ressort de façon générale de toutes ces reconnaissances : il ne faudra pas sous-estimer le parcours et ses pentes qui peuvent s’apparenter plus douces que d’habitude, il faudra rester humble face à l’effort et respecter les 4600 m de dénivelé. Les descentes s’avèrent nombreuses et techniques, il n’y aura aucun replat ni temps mort sur ce parcours qui ressemble à un bon petit chantier.
Les semaines passent et mon coach me confronte régulièrement à un test d’effort sous forme d’horribles Ramp Test ou à des tests de 3 à 5’ sur des bosses bien choisies en Vallée de Chevreuse. Les valeurs ne font que monter au fur et à mesure du temps et j’égale mes meilleures données jamais enregistrées. Les voyants sont au vert pour aborder mon premier vrai objectif de l’année : l’Ardéchoise sur le parcours de la Volcanique.
L’Ardéchoise en apéritif
Samedi 15 juin à 2h30 du matin en Ardèche, nous sommes éveillés dans notre petite location de Saint Victor à cause d’un orage d’une violence assez rare qui traverse la France. Le réveil est censé sonner dans à peine plus de 3h00 et pourtant il nous est impossible de refermer l’œil à cause de la force des rafales et des quantités d’eau qui tabassent les carreaux de la maison. Je me demande déjà comment et dans quel état nous allons prendre le départ de la course.
Tout est plus calme au moment de prendre le copieux petit déjeuner fortement chargé en protéines mais il pleut toujours sur Saint Victor. Je me mets en route assez tôt pour espérer être bien placé sur la ligne et ne pas avoir à trop jouer des coudes pour aborder le col du Buisson qui arrive très tôt sur le parcours et fait office de première grosse sélection. Je suis couvert comme un jour d’automne humide, je n’ai qu’un espoir pendant la demi-heure de route qui me mène au départ à Saint Félicien : ne pas crever entre la maison et la ligne de départ. Les Turbo Cotton et les chambres à air Latex tous neufs montés sur mes roues ne gaspillent aucun watt mais ils ne pardonnent aussi aucun silex.
Je me rends vers le sas prioritaire et croise Stefan Kirchmair qui n’a pas l’air très pressé de se rendre au départ de sa course qui part pourtant dans à peine quelques minutes. Le palmarès du gazier (rempli de victoire à la Marmotte, à l’Etape du Tour, etc..) est assez impressionnant.
Le départ est comme d’habitude très rapide et est rendu assez compliqué par l’humidité ambiante. J’aborde malgré tout le col du Buisson plutôt bien placé. Assez rapidement je trouve le rythme du groupe trop élevé pour moi et décroche du groupe principal. A ce moment là de la course il n’y a pas péril en la demeure, le tracé de 186 km et presque 3400 m de D+ laisse le temps aux prétentieux de s’éteindre à petit feu et aux prudents de regagner des places au gré des kilomètres. Malheureusement, de mon côté le moteur ne se mettra jamais réellement en route et je vais passer l’une de mes journées les plus compliquées sur le vélo. Je vais voir passer toute la journée des groupes auxquels je n’arriverai pas à m’accrocher dès que le route se cabrera. Je suis planté dès que ça grimpe, la journée s’annonce très longue.
Il m’a traversé l’esprit de bifurquer sur le parcours des Boutières, moins long de quasi 60 bornes et moins escarpé de quasi 1000m de D+, mais l’égo mal placé, l’espoir que les jambes se remettent à tourner et surtout la peur de passer pour un con sur Strava m’ont poussé vers la gauche de la route, à la séparation des parcours, en direction de Mézilhac.
Le reste de la journée sera un long chemin de croix, sans force et sans envie. Frigorifié au passage du Mont Gerbier de Jonc je n’aurai aucune bonne sensation de la journée et je n’arriverai pas non plus à me réchauffer. Je passe la ligne aux alentours de la 65éme place, légèrement moins bien que l’année dernière alors que le niveau était globalement moins élevé et que l’objectif était de rentrer dans le Top 50. Tout ceci est finalement assez anecdotique quand le corps se décide à vous faire passer une journée de merde sur le vélo, qui n’a jamais fait de vélo ne peut pas comprendre. Les autres, vous savez.
Je suis heureux de boire une bière au village d’arrivée et craque un peu après ces longs mois de préparation et d’engagement qui se soldent par une journée de merde de laquelle je ne devrais pourtant rien attendre de particulier en dehors d’un peu de plaisir car ce n’est que du vélo, car ce n’est qu’une cyclosportive.
Dernière ligne droite
Il reste trois semaines avant l’étape du tour, la déception relative de l’Ardéchoise est vite avalée et me remets au boulot pour aller chercher les quelques petits Watt qui pourraient faire la différence le 6 Juillet. Comme depuis le début de l’année, à l’entrainement les sensations sont très bonnes et je me surprends à encaisser et enchainer, sans trop de difficulté, des montées de 5’ à des niveaux de puissance plus qu’honorables. Le retour du soleil sur la Région parisienne redonne un peu de baume au cœur après le printemps et le début d’été catastrophiques que nous subissons une fois de plus.
Samedi 6 Juillet, il est aux alentours de 6h30 à Nice devant l’hôtel IBIS de Nice Lenval et je m’apprête à me rendre vers le SAS 1 de l’Etape du Tour 2024. Les contraintes et difficultés d’organisation liées à la logistique particulière sont derrière nous. Nous sommes sur place depuis plusieurs jours et nous avons eu le temps de repérer les premiers kilomètres très scabreux du parcours. Nous avons transformé l’hôtel en véritable auberge espagnole en sanctuarisant pour notre compte les plus grandes chambres à différents étages du bâtiment, nous sommes une bande de neuf répartis par groupes de trois. Nous avons pu vagabonder tranquillement sur l’énorme et magnifique village départ, nous avons pris le temps de discuter avec les copains de Pédaleur, avec Geoffroy Lequatre, avec David Polveroni, ce fut un bon moment. Nous avons déposé des voitures à Touët sur Var pour que chacun puisse rentrer sans encombre après l’épreuve et nous sommes arrangés pour faire des retours plus ou moins par groupe de niveau. Nous avons négocié avec la gérante de l’hôtel pour que le petit déjeuner soit avancé à 5h30 du matin. Les têtes sont libres de tout sauf peut-être de stress, il ne reste plus qu’aux jambes d’assurer leur partie du travail.
Chemin de croix
En apparence tout le monde est assez calme dans le SAS, je reconnais pas mal de monde vu les années précédentes ou via les réseaux sociaux. Malgré la foule de participants, on croise toujours des têtes connues. Le SAS 0 vient de partir, bon courage aux potes qui y sont, dans 7min 30 ce sera à nous de nous élancer. Le départ est neutralisé derrière voiture pour éviter les accidents sur la sortie de Nice. L’organisation a modifié au dernier moment les premiers kilomètres pour éviter les très nombreuses zones de travaux. Même ajustés, ces premiers kilomètres sont très compliqués et de nombreuses chutes et ralentissements se produisent jusqu’au pied du Col de Nice.
Le moment est venu de se caler à une puissance cible, assez basse pour ne pas se cramer, assez haute pour avancer correctement. Il fait déjà lourd dans les premiers cols et je transpire à grosses gouttes, je suis loin d’être le seul. Je mets rapidement en action ma stratégie de nutrition et je commence à m’enfiler les premiers gels Maurten au bout d’une grosse demi-heure de course. Eux qui sont habituellement très neutre niveau goût me paraissent tout d’un coup extrêmement sucrés, j’en ai 12 à avaler sur les 6h00 et quelques de vélos qui m’attendent. Il va falloir avoir l’estomac bien accroché. Une gorgée de boisson toutes les 10’, un gel ou une demi barre toutes les 30 minutes, cette chronologie bien orchestrée, rodée depuis des semaines et des mois est aussi un bon moyen de faire passer le temps rapidement, de déconnecter le cerveau des efforts en cours et de se donner des points de passages intermédiaires. Croyez-moi on se raccroche souvent à ce qu’on peut.
Comme d’habitude j’ai l’impression de partir beaucoup plus prudemment que bon nombre de concurrents, je ne m’affole pas car ça m’avait plutôt bien réussi l’année passée. Les Cols de Nice et Braus sont passés sans trop de difficulté et surtout à des niveaux de ressenti d’effort qui m’apparaissent très satisfaisant au regard des Watts produits. Je file sans m’arrêter au premier ravitaillement du parcours, j’ai pris la décision de ne faire que deux arrêts express visant à me permettre de remplir mes deux bidons, je suis en totale autonomie pour tout ce qui est nourriture « solide ».
Première descente, premiers moments de vraie concentration. Tout le monde est prévenu que celles-ci ne sont pas des plus aisées. Loin d’être un super descendeur, je suis en totale confiance sur mon vélo, ça me permet de rester au contact des gars avec qui j’étais au sommet. Ca file, on fait gaffe, mais ça file et le pied du Turini se présente assez rapidement devant nous.
Premier moment d’émoi à la vue de la pancarte « Sommet du Col – 24 km », ça risque d’être long. Je me souviens trop des 29 km de la Croix de Fer qui m’avaient laissé un léger goût amer. Les pentes ne sont pas sévères, je le savais, mais je sens déjà que je suis moins fringant que dans les premiers cols. J’espère réussir à maintenir quelque chose aux alentours de 230 watts, il va me falloir revoir mes prétentions à la baisse. Je ne m’affole pas, en bon ancien je sais désormais gérer ces temps longs. Chacun monte désormais à son rythme, nous ne sommes pas encore à mi-parcours mais l’effet peloton n’a déjà plus lieu d’être. Mon Wahoo m’indique le profil du col et des kilomètres à venir, je suis ravi de voir que la pente reste modérée, je suis heureux de me rendre compte qu’un bon replat nous attend assez rapidement. Il fera du bien celui-là, on repasse la plaque et on remet de la vitesse. Ça dure assez longtemps pour reprendre un peu de force et surtout diminuer considérablement la distance nous séparant du sommet, ce sont ce que j’appelle des kilomètres gratuits. Je double quelques connaissances, on se dit un mot, mais pas trop quand même, l’oxygène est plus destiné aux muscles qu’aux liens sociaux. Toujours autant de sudation, il fait beau sans que la chaleur ne soit trop accablante comme elle a pu l’être dans Joux Plane ou l’Alpe d’Huez mais il fait lourd. Je perds énormément de sels minéraux, ça impressionne toujours les copains, j’ai pris l’habitude d’ingurgiter une capsule de sel par heure pour supplémenter tout ce que mon corps évacue.
Le panorama est fantastique mais le précipice est vertigineux
Le sommet est enfin là, se présente l’un des points noirs de ce parcours : la descente du Turini. Tous les commentaires sont unanimes, la descente est technique et le bitume est de mauvaise qualité. Je vais vite me rendre donc qu’une autre particularité caractérise la vingtaine de kilomètres qui nous attend, le panorama est fantastique mais le précipice est vertigineux. C’est vraiment impressionnant et clairement il ne faut pas se louper dans un virage et compter sur les maigres barrières pour nous empêcher de basculer dans le vide. On essaie de ne pas trop y penser et on se lance du mieux possible en direction de la vallée de la Vésubie qui nous attend un peu plus bas. Pas mal de mecs finissent par terre, je vois un gars qui cherche son vélo dans le ravin, j’en vois un groggy assis sur la rambarde, ça calme un peu les ardeurs et pousse à appuyer un peu plus sur les freins. Le temps commence à se faire très menaçant et les premières gouttes tombent pendant que nous descendons. Je me mets à redouter un effet verglas d’été juste au moment où un mec loupe un virage devant moi et se fout au sol. Juste le temps de lui demander si tout va bien et de s’assurer qu’il est en état de repartir avant de se lancer vers le bas de la descente que nous sommes tous assez satisfaits de voir arriver.
Il pleut toujours un peu sur la route de l’Etape du Tour, bien heureusement nous sommes dans le sud et les rayons du soleil refont rapidement leur apparition et nous sèchent sans attendre. La moitié de l’étape est déjà avalée en termes de kilomètres, mais seulement 2000 m de dénivelé s’affichent sur le compteur. Je prends un coup sur la carafe en pensant aux 2600 m qui restent à gravir. Comme souvent, je me demande bien pourquoi je me suis embarqué dans une telle aventure.
Je sais que nous approchons d’un moment clef du parcours. Nous nous dirigeons vers le Col de la Colmiane qui n’est pas très long sur le papier mais dont les routes d’approche, sans être complètement plates, nécessitent d’être en peloton pour ne pas perdre trop de temps et d’énergie en roulant seul. Je m’attendais à du faux plat, mais ce sont bien des pentes dignes d’une bosse en vallée de chevreuse que nous avons à franchir pour accéder à Saint Martin de Vésubie. Je m’accroche à des roues et suis satisfait de trouver quelques ressources morales pour faire l’effort de ne pas rester seul. Je mange, je bois, je prends ma capsule de sel, je poursuis ma stratégie de maintien d’énergie.
Nous arrivons à Saint Martin de Vésubie dont nous avons beaucoup entendu parler ces dernières années en raison des inondations qui ont ravagé le village. Il y a quelques semaines encore, les fontes de neige tardives ainsi que les fortes pluies ont remis du chaos dans cette vallée dont il ne restait déjà plus grand-chose.
Premier arrêt ravitaillement au pied de la Colmiane, juste le temps de vider deux sachets de poudre dans un bidon, de jeter deux pastilles d’électrolyte dans le second et de choper 2 litres d’eau pour les remplir, il est déjà temps de se remettre en route. 2 minutes montre en main, si il y a un point sur lequel j’ai progressé depuis deux ans c’est bien sur le temps passé aux ravitaillements.
Nous traversons Saint Martin de Vésubie et passons sur un pont qui nous permet d’accéder au pied du col et surtout de franchir le lit de la rivière. C’est tout simplement impressionnant et effrayant. L’amoncellement de rochers laisse facilement imaginer la violence des éléments qui se sont déchainés ici.
La Colmiane n’est pas un col très long, annoncé aux alentours de 7 km sur le profil de la course mais en tenant compte de toute la phase d’approche c’est bien un col de quasiment 17 km que nous avons à franchir. Le temps fait son œuvre, les forces s’amenuisent, je sens qu’il ne reste pas grand-chose dans les guiboles. J’ai beaucoup de mal à me situer dans la course, mais je sens que le Top 1000 va être compliqué à aller chercher. Néanmoins, les expériences passées me le prouvent, il ne faut jamais se laisser sombrer sur ce type d’épreuve car tout le monde souffre de la même manière.
J’ai le temps de profiter du paysage, nous traversons des coins particulièrement reculés et peu accessibles. Ça se ressent fortement à l’absence très marquée de public au bord des routes alors que j’ai toujours trouvé que l’Etape du Tour était une épreuve à faire pour cet aspect-là. Je pense aux participants qui vont devoir abandonner et je me demande vraiment comment ils vont pouvoir rallier l’arrivée, la seule route disponible étant globalement celle de l’épreuve.
Passage au sommet de la Colmiane, petit coup d’œil à l’espace ravitaillement qui comme les autres est placé dans un espace vraiment exigu. L’accès aux ravitaillements est souvent un point de critique soulevé par les personnes partant dans les sas élevés, j’ai l’impression que cette édition sera encore plus critiquée que les autres.
La descente de La Colmiane fut un des grands moments du parcours, à la fois rapide, facile et magnifique. On ne perd pas les bonnes habitudes et on met la carte sur le GPS pour anticiper les éventuels virages compliqués. Descente en groupe, relance en sortie de virage, début de crampes en remettant du braquet, il va vraiment falloir en finir avec cette saloperie d’épreuve.
Dernier arrêt au pied du Col de la Couillole avant d’entamer les 16 km de montée finale. Dernier arrêt ravitaillement pour une dernière fois remplir les bidons, deux dernières minutes sans pédaler avant de passer ligne d’arrivée.
Je passe la barrière au chronométrage au pied du col qui permet aussi à la famille et aux copains de me voir souffrir à distance grâce au Live Tracking. J’attaque le col plein d’espoir et d’envie lorsque ma roue arrière se bloque d’un seul coup.
Je reste sur le vélo tant bien que mal, j’ai l’impression d’avoir pété un rayon, le moyeu ou carrément d’avoir déjanté. Petit coup d’œil rapide, je vois qu’en fait, le coup vent que j’avais logé sous mon maillot s’est fait la malle et s’est emmêlé dans le disque et les rayons. Petit moment de panique en me rendant compte que je vais avoir du mal à retirer tout ce bordel. Je finis par y arriver mais je dois m’attaquer aux morceaux restés coincés dans l’étrier. Au final, cinq minutes piles de perdues le temps de tout remettre en ordre. Je dis au revoir à mon coupe-vent et au top 1000 par la même occasion.
Je me remobilise et repars à un meilleur rythme que celui que j’imprimais dans La Colmiane. Le col est vraiment long, une fois de plus je me concentre par tranche de 5 km puis rapidement de kilomètre par kilomètre. Le dénivelé cumulé affiché sur le Wahoo me semble encore bien loin des 4600 m attendus et j’espère que des pourcentages meurtriers ne nous attendent pas sur les derniers morceaux de cet interminable col. Je vois le village de Roubion accroché à la montagne un peu plus haut sur la droite de la route, je me souviens de la vidéo de Les Watts qui disait que le sommet n’était plus très loin mais qu’il ne fallait pas compter sur une diminution des pourcentages.
Une fois passée l’arche des cinq derniers kilomètres, tout semble un peu plus facile, tout du moins en apparence. La concentration se mobilise désormais par tranche de 500 m. Il est temps de jeter les dernières forces, vraiment il ne reste plus grand-chose.
Une fois passée l’arche du dernier kilomètre, tout semblerait vraiment facile, les panneaux tout les 100 m rapprochent la ligne d’arrivée à un rythme incroyable. Dernière arche, c’en est enfin fini, je passe la ligne en 1080 éme position. Je me mets à rêver d’un potentiel Top 1000 en pensant aux éventuels mecs du SAS 0 qui auraient fini juste devant moi. La fatigue me fait un peu trop rêver.
Et maintenant ?
Je récupère ma médaille et ma musette, je file en direction de la pasta party et surtout je file rejoindre les copains qui sont déjà arrivés. Je pose le vélo au parc que je trouve particulièrement spartiate cette année. Je retrouve tout le monde et les mines sont plutôt déconfites. Au gré des discussions je comprends que nous avons tous eu globalement le même ressenti : une étape particulièrement compliquée, vraiment difficile sans temps mort, tout le temps en prise. Nous avons tous souffert bien plus que de raison, ça me rassure de voir que je ne suis pas le seul à avoir pris cher.
Nous convenons de ne pas trop trainer sur place et de nous rendre vers Touët pour récupérer la voiture et retourner vers Nice. Nous avons cette chance de ne plus avoir d’efforts à faire contrairement à beaucoup de participants qui vont devoir batailler face au vent dans la vallée. La descente par les gorges du Cians fut un moment absolument génial, un peu à l’image de la descente de la Colmiane, de la prudence malgré tout pour ne pas se foutre au tas après la petite bière post étape. Si vous êtes de passage dans le coin, allez voir ces magnifiques roches rougeâtres.
Une étape de plus de finie, la troisième. Encore une fois, je finis quelque part entre la 1100 et la 1300 éme place. Comme chaque année depuis trois ans je loupe le top 1000, comme chaque année depuis trois ans je cale pour environ 8 minutes (si je neutralise mes 5’ d’arrêt coupe-vent au pied la Colmiane pour cette année). En toute honnêteté je ne sais pas où ni comment gagner ces 8 minutes. Enfin si je sais : il me faut aller bouffer de la montagne pour habituer mon corps et mes jambes à enchainer des temps de montée au-delà d’une heure.
Retour à l’hôtel, les jambes pleines de fatigue et la tête pleine de questions. Est-ce que j’ai encore l’envie et la motivation pour me retaper une année de préparation particulièrement contraignante pour faire une épreuve où le plaisir ne trouve quand même pas beaucoup de place ? Mon coach, avec qui j’ai débriefé assez longuement, pense que j’ai fait le tour de la question. Il est évidemment beaucoup trop tôt pour prendre des décisions définitives et surtout hâtives.
Je rêvais d’un enchainement Marmotte, Etape du Tour pour l’année 2025, afin de fêter un dignement les 40 ans de la participation de mon père à la célèbre épreuve de l’Oisan. La Marmotte, 40 km et quelques centaines de mètres à escalader en plus. C’est quand même une tout autre histoire. En ai-je seulement la motivation ?
Dimanche 7 juillet, il est aux alentours de 8h30 à Nice devant l’hôtel IBIS de Nice Lenval, le coffre est chargé et je m’apprête à me prendre la route en direction de la Région Parisienne. Les 900 km qui nous séparent de la maison nous laisseront le temps de refaire le film de la veille. Peut-être suis-je trop exigeant, peut-être que je me surestime, peut être que je me mets trop de pression, une chose est sûre j’aime l’idée d’avoir un objectif dans le viseur et que l’année prochaine passe par l’Etape du Tour ou pas, il va falloir que je me trouve quelque chose à faire.
En septembre prochain, je vais participer à Versailles-Deauville et gagner ma Normandie chérie après 260 bornes par les routes sur lesquelles j’ai débuté le vélo. Rapidement, pas trop je l’espère, nous arriverons en octobre à l’habituelle cérémonie de présentation du Tour du Palais des Congrès. Les maux de la tête et les maux de muscles seront estompés. Il sera alors bien temps, en fonction du tracé proposé, de se demander si pour une quatrième fois on se remet au charbon pour tenter d’aller enfin décrocher ce fameux Top 1000.«
Partager la publication "« Mon Étape du Tour 2024 »"