La philosophie de l’Ultra au Gravel Fever 400, avec Guillaume Mathis

Victime d’hallucinations causées par une fatigue profonde et probablement une hypoglycémie, Guillaume Mathis abandonne le Gravel Fever dans sa version Ultra après 15 heures d’effort. Mais, la question qu’on a eu envie de lui poser, c’est de savoir quel est l’intérêt de rouler pendant autant d’heures, de souffrir à ce point et de se mettre dans des états pareils ? D’ailleurs, je ne pense pas qu’il y ait eu un seul participant du Gravel Fever 400 qui ne s’est pas posé cette question à l’occasion de cet événement insolite ce week-end du 20 au 21 octobre 2023. 

Par Jean-François Tatard – Photos : DR

De prime abord, c’est vrai qu’on ne peut pas dire que ce genre de défi ait une quelconque utilité pratique fondamentale ou d’impact positif sur le reste de l’humanité. Mais l’individu à qui j’ai posé cette question a eu le temps de reprendre ses esprits depuis son abandon dans la dernière partie de la nuit. Et c’est l’occasion ainsi pour nous de vous partager l’incroyable parallèle qu’a pu faire Guillaume Mathis avec ce que nous vivons dans la vraie vie. Car oui, finalement la vie en elle-même est un Ultra

Guillaume Mathis au départ du Gravel Fever en version Ultra, avec un mélange de confiance et d’inquiétude.

Une perception du temps modifiée 

Familier de l’effort, même dans ses années de cyclisme en première catégorie (route), Guillaume Mathis n’avait jamais été en activité physique aussi longtemps d’une seule traite. L’épreuve est longue. 400 km en vélo c’est déjà beaucoup, mais à la vitesse d’un Gravel en forêt quand il pleut depuis une semaine et que la température est aussi froide, ce n’est pas long. C’est extrêmement long. La durée de la course est si longue qu’il y a même certains de ces ultra courageux qui y passent une partie de la seconde nuit. Et dans ce contexte, les indications du Garmin et les repères temporels habituels perdent de leur pertinence. « Tu te retrouves dans un état où tu dois gérer tes efforts en évitant de te focaliser sur le temps qui passe. Tu dois gérer en priorité ta douleur, parfois extrême, la fatigue, l’énergie qui s’épuise, l’alimentation qui s’appauvrit mais aussi la pluie, les ennuis mécaniques, l’environnement et les parties accidentées du parcours. Tu dois rester connecté au présent », précise Guillaume Mathis. Bref, il ne faut pas se soucier ni de l’avant ni de l’après. Les questions du style « pourquoi je suis là ? » ou « combien de temps il me reste encore à rouler ? » sont à éviter. Il ne faut pas de se laisser submerger par l’ampleur de la galère dans laquelle on s’est mis. Il y a une espèce de dilatation du temps par rapport à une situation normale du quotidien. C’est la première fois que Guillaume vivait ça. « Quand t’es aussi mal, le temps te paraît infini ». D’ailleurs, à bout de force après une nuit sans sommeil et éreinté par la fatigue, Guillaume a connu pour la première fois les fameux symptômes d’hallucinations que connaissent parfois les aventuriers de l’ultra. Une situation qui aurait pu le mettre encore plus en danger. « Dans une descente, j’ai vu des pierres bouger et j’ai aussi cru que je me faisais attaquer par des bestioles. J’ai vu des gens. Je pensais qu’ils allaient m’aider alors qu’en fait il s’agissait d’arbres. »

Rouler la nuit est une expérience unique.

Une immersion totale

Néanmoins, Guillaume Mathis a vécu l’événement coordonné par Jean-Christophe Savignoni comme une véritable bulle spatio-temporelle. C’était pourtant efficacement encadré par une organisation comprenant sécurité, assistance et ravitaillement, mais l’expérience est radicale. On est en prise direct avec les émotions. De la joie à la colère, en passant par la peur, la tristesse, le dégoût et la surprise, sur cette trace précisément définie entre Saint-Quentin-en-Yvelines et Châtellerault, Guillaume a tout vécu. Et de façon amplifiée. Et en se confrontant à la nature, au temps, à la fatigue extrême et à la douleur, c’est finalement au fond de lui-même et à la manière d’un Mike Horn, ce qu’il était venu chercher. « Cette intensité est difficilement descriptible » nous a-t-il rapporté assez immédiatement. Et c’est c’est ce moment hors du temps que ce responsable d’un gros magasin de vente de vélos électriques est venu chercher.

Au boulot par exemple, vous aussi vous envoyez des e-mails auxquels personne ne répond ? Quel impact ont vos actions ou celles de votre entreprise ? Vous êtes vous déjà posé cette question ? Peut-être que votre entreprise épuise des ressources naturelles sans réellement améliorer la société ? Et vous, peut-être courez-vous partout mais pourtant vos tâches s’accumulent encore ? Notre époque ressemble à une course folle. C’est un contre-la-montre en permanence. Tout va toujours plus vite : le travail, l’école, les médias, la communication, la consommation. Le phénomène d’accélération touche tous les domaines, au point que nous nous sentons déconnectés de notre propre vie. Rares sont les moments où nous sommes à la fois acteurs et récepteurs et en harmonie parfaite avec notre environnement. Quelles sont les occasions récentes où vous avez réellement raisonné ? Faites une pause ! Posez votre vendredi en RTT et retrouvez le contact avec vous-même !

Une telle épreuve demande beaucoup de logistique.

Voilà ce qu’a vécu Guillaume entre l’après-midi du vendredi 20 octobre et celle du samedi 21. Une relation dynamique, réciproque et émotionnelle avec l’environnement. Lors de cette épreuve, chaque coup de pédale, chaque ornière, chaque côte, chaque descente, chaque pavé, ont été perçus par Guillaume comme une manière de se reconnecter et de se sentir vivant. Plus que la sensation d’habiter son corps, l’impression d’habiter (enfin !) sa vie. Une opportunité d’intense prise de conscience. Une opportunité de se réinventer, d’approfondir encore un peu plus la compréhension de soi-même et de renouer avec le sentiment de se sentir vivant.

Chaque dimanche soir depuis que je suis ado, j’ai une étrange habitude qui consiste à résumer ma semaine par une citation que j’emprunte ici ou là. Jamais la même. Et bien cette fois, j’ai attendu que Guillaume roule sur 270 des 400 km de l’Ultra Gravel Fever (408 pour être tout à fait précis) pour qu’il m’offre celle-ci : « la nuit au milieu de la forêt, rien ne compte plus que le prochain kilomètre que je ferai ».

Dans un défi comme celui-ci, notre cadre de référence est complètement perturbé. C’est très extrême. Guillaume a vécu une véritable rupture avec ses limites et en cadeau : il en ressort avec une nouvelle version de lui-même. En effet, face à l’exigence que cela demande, on se transforme. C’est d’ailleurs fascinant de voir comment en pratique on est capable de s’adapter autant. Ce n’est pas que physique. C’est surtout mental. C’est une expérience précieuse et la seule façon de l’acquérir c’était donc bien d’aller la chercher…

C’est encore tôt pour en parler mais je crois que pour Guillaume Mathis, son rapport au monde, aux autres, et à soi-même va un peu changer après ça. Cette expérience va probablement modifier encore le sens de ses priorités. Je ne sais pas combien de temps cela durera mais durant ces quinze heures extrêmes, ses émotions se sont manifestées avec une intensité rarement égalée dans sa routine quotidienne.

Les chemins de Gravel peuvent réserver de multiples surprises.

Dans le sport d’endurance, ce genre d’épreuve ultra peut, je pense, ainsi être une occasion unique de faire face à une intensité émotionnelle qui reflète la complexité de la nature humaine. Chaque accroc, chaque complication, chaque danger, chaque difficulté, chaque embarras, chaque empêchement, chaque entrave, chaque gêne, chaque opposition, chaque pierre, chaque racine, chaque ornière, chaque montée, chaque descente, chaque mare de boue, chaque obstacle, chaque résistance en tout genre, peuvent symboliser la réalité de la vraie vie et de ses défis.

Enfin, éviter les frottements, chercher le confort, ne pas se mettre en danger. Cela semble rationnel mais cela ressemble furieusement à la mort. Ainsi en confrontant de cette façon ses émotions amplifiées à cet effort extrême, cet ultra biker a curieusement éprouvé une forme de liberté rare. L’opportunité aussi de reprendre le contrôle de soi et de ce qui lui est réellement le plus important.

Attention, je n’ai pas dit que le sport était ce qu’il lui était le plus important. Et encore moins le sport poussé comme ça autant à l’extrême. Mais la vie est courte, et cet événement était juste un formidable outil et un fabuleux moyen pour Guillaume de nous rappeler à quel point il est urgent de profiter de chaque minute et des petits bonheurs de la vie. Car la vraie vie est justement dans l’instant, et non dans la nostalgie du passé ou dans la crainte de l’avenir. 

=> Gravel Fever : Les résultats

Et après ça, même s’il aura manqué l’accomplissement final d’avoir atteint la Manu de Châtellerault, nous voulions quand même remercier et féliciter Guillaume Mathis pour le message philosophique et existentiel qu’il nous a envoyé ce week-end du 21 octobre 2023. Et nous voulions aussi féliciter tous les participants et tous les organisateurs ainsi que tous les bénévoles du Gravel Fever Festival pour la bonne idée qu’ils ont eu de contribuer à rendre cet événement aussi magique.

=> VOIR AUSSI : Tous nos articles Mag

Jean-François Tatard

- 43 ans - Athlète multidisciplinaire, coach en vente et consultant sportif. Collaborateur à des sites spécialisés depuis 10 ans. Son histoire sportive commence quasiment aussi vite qu’il apprend à marcher. Le vélo et la course à pied sont vite devenus ses sujets de prédilection. Il y obtient des résultats de niveau national dans chacune de ces deux disciplines.

Vous aimerez peut-être aussi

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.