Partager la publication "Un été meurtrier sur les routes : le vélo en danger"
Partager la publication « Un été meurtrier sur les routes : le vélo en danger »
29 cyclistes tués sur les routes de l’Hexagone en juillet, 22 en août et un rythme qui n’a pas semblé baisser en septembre si l’on en croit les extraits d’articles relevés chaque jour dans la presse quotidienne régionale : tel est le triste constat de la cohabitation difficile entre tous les usagers de la route. Le silence des pouvoirs publics à ce sujet est assourdissant.
Par Guillaume Judas – Photos : Pixabay.com, Pxhere.com, DR
Dans Le Parisien du 14 septembre, Cyrille Guimard prédit des heures sombres pour le cyclisme français au regard des résultats de nos compatriotes sur le classement général de l’actuel Tour de France. Pour l’ancien sélectionneur national et directeur sportif emblématique de Bernard Hinault ou Laurent Fignon, « le cyclisme français va dans le mur« , en ne détectant pas assez tôt les jeunes talents, en limitant la difficultés des épreuves proposées aux plus jeunes et en délaissant la discipline révélatrice du contre-la-montre.
Nous pensons que celui que l’on surnomme le Druide pour sa connaissance du cyclisme se trompe de combat. Avant de songer à former des futurs champions et à combler les lacunes de nos grands talents (Thibaut Pinot, Romain Bardet, Julian Alaphilippe ou Warren Barguil se sont révélés très jeunes à très haut niveau), il faudrait déjà qu’ils soient encouragés à faire du vélo. Or, aujourd’hui, le vrai frein au vélo en France, c’est l’insécurité sur les routes.
=> VOIR AUSSI : Sécurité routière. Le mois de juillet a été le plus meurtrier depuis 10 ans
Une triste réalité
Nous nous souvenons pour notre part avoir fait nos premiers pas de cycliste sur la route à l’âge de 10 ans, sur des routes de campagne tranquilles du Morvan, et avoir foulé les routes de la vallée de Chevreuse en solo pour la première fois à 12 ans. Des sorties de 25 à 30 km, le nez au vent avec un demi-course, un short et un t-shirt comme seul équipement, et une envie naissante de tâter de la compétition pour la dernière année de collège.
Qui aujourd’hui oserait sérieusement laisser un enfant de 10 ans partir rouler seul sur la route pour une sortie d’une heure ou deux, compte tenu du contexte, de l’environnement, et surtout du manque total d’action des pouvoirs publics pour sanctionner les automobilistes les plus imprudents ? Car aujourd’hui nous en sommes là : de plus en plus de voitures, des infrastructures routières de plus en plus contraignantes, de plus en plus d’automobilistes excédés et impatients, mais aussi de moins en moins de respect pour les usagers de la route les plus fragiles. Et toujours pas de réponse adaptée des pouvoirs publics, que ce soit en termes de communication ou de sanction dissuasive.
On peut aujourd’hui en France tuer sur la route en toute impunité ou presque, du moins pour ceux qui n’ont pas de conscience.
Thomas Voeckler, ancien champion, actuel consultant pour France TV sur le Tour de France et sélectionneur de l’équipe de France le précisait en direct ce week-end : en se rendant au départ de l’étape à vélo, il avait connu une grosse frayeur en se faisant frôler à 20 cm par un camion de 38 tonnes. Tous les cyclistes assidus connaissent cette situation. Cela arrive tous les jours, sur toutes les sorties pour les cyclistes sportifs. Et de plus en plus souvent pour les cyclistes qui se déplacent désormais à vélo, pour se rendre au travail et pour favoriser la fameuse distanciation sociale, et qui découvrent avec horreur la jungle routière.
Des efforts encore insuffisants
Alors bien sûr, la très grande majorité des automobilistes ou conducteurs de bus ou de camions sont très respectueux des usagers fragiles de la route, qu’il s’agisse de cyclistes ou de piétons. Tous les jours également, il y a de nombreux dépassements sages et prudents, des priorités respectées, des échanges cordiaux avec un simple sourire ou un salut de la main, bref, ce qu’on appelle un partage de la route entre personnes civilisées. Certaines collectivités locales commencent à mettre en place une communication spécifique.
Mais il y a aussi les autres, de plus en plus nombreux, les têtes en l’air, celles et ceux qui manipulent leur portable en roulant, qui parlent avec les gosses dans la voiture en tournant la tête, ou qui pensent simplement aux problèmes de leur vie quotidienne. Des dangers permanents qui grillent des priorités, qui s’engagent dans des rond-points alors que vous êtes au milieu, qui vous doublent et vous serrent juste avant un feu… Mais, de bonne foi, au moins ces personnes-là acceptent-elles la discussion, admettent qu’elles ont eu un moment d’égarement ou d’inattention. Pour le cycliste, il faut souvent un peu de chance ou des bons réflexes pour éviter l’accident, mais le pire n’est pas là.
À la décharge de ces imprudents, le mobilier urbain et les obstacles artificiels placés dans nos villes dans l’espoir d’en faire des cités vertueuses n’ont cessé depuis une bonne vingtaine d’années de compliquer tous les déplacements. Les voitures sont de plus en plus larges et les voies de plus en plus rétrécies. Dos-d’ânes, rond-points, haricots, voies de bus et bandes cyclables mal tracées, marquages au sol divers et variés ne sont là que pour satisfaire l’égo de nos élus, qui se fichent bien par ailleurs du bonheur de leurs concitoyens.
Les idées reçues sur le Code de la route et le vélo
|
De plus en plus d’agressions volontaires
Dans un pays où un chauffeur de bus se fait tabasser à mort pour un regard de travers, il y a aussi et malheureusement l’impression que c’est la loi du plus fort qui s’installe. Et le plus fort sur la route, c’est l’automobiliste, bien protégé derrière sa carrosserie de 1,5 tonne, toujours pressé et gêné par ces empêcheurs de tourner en rond que sont les usagers plus lents, et particulièrement les cyclistes. C’est lui le mauvais, l’agressif, la racaille. C’est une toute petite partie des conducteurs de véhicules sur la route. Peut-être 1 % au pif. Mais ce sont les plus dangereux, et de loin, et le pire est qu’ils ne risquent pas grand-chose. Ils peuvent entamer un dépassement sur une route départementale en face de vous et vous croiser à 90 ou 100 km/h et vous forcer à vous jeter sur le bas-côté. Ça, c’est nouveau comme comportement et surtout de plus en plus fréquent.
Celui ou celle qui fait sa loi n’est pas stigmatisé par son origine, son âge ou son niveau social. Cela peut-être n’importe qui. Ce qui compte, c’est d’être fort en gueule, de s’imposer, d’imposer ses lois, quitte à commettre volontairement des infractions qui peuvent causer la mort ou l’infirmité.
Des infractions qui commencent par une méconnaissance du Code de la route d’une part (voir plus haut), et surtout par un manque de respect total de la vie humaine. Qui peuvent commencer par des menaces de mort, souvent, des coups parfois, gratuitement, comme ça, même si c’est un jeune, même si c’est une femme, même si le contrevenant sait qu’il est en tort. Parce qu’il ne veut surtout pas admettre qu’il est en tort.
Que risquent ces personnes ? Eh bien pas grand-chose. En cas d’agression, si l’automobiliste ne vous fait pas chuter avec sa voiture, on vous dira au moment du dépôt de plainte que ce n’est pas grave, qu’il n’y a pas mort d’homme et que vous avez eu de la chance. Même une vidéo n’est pas recevable comme preuve du risque pris volontairement par l’automobiliste avec votre vie. Une honte. En cas d’altercation, c’est encore pire. il ne faut surtout pas répliquer à un coup porté contre vous. Un tribunal mettra les deux parties à égalité. Et même si vous ne répliquez pas et insultez seulement votre agresseur par colère (ou peur), un avocat véreux tentera d’invoquer que vous avez bien chercher votre « correction ».
En cas de collision par l’arrière, on retiendra la thèse de l’accident, et non de la violence volontaire avec une arme par destination, alors même que le Code de la route prévoit 3 points en moins et une amende de 135 € pour non respect des distances de sécurité.
Un Victim Blaming avec un mécanisme que l’on retrouve dans les affaires de viol, avec une tentative quasi systématique de dévaloriser les droits de la victime, qui elle n’a rien demandé à personne. On essaie de vous décourager à porter plainte, et si vous le faites c’est presque peine perdue car on trouve des circonstances atténuantes à l’agresseur tout en vous rejetant une partie de la faute.
Une partie de l’opinion publique suit ce courant de pensée, comme on peut le voir sur les réseaux sociaux, notamment en suivant le fil des commentaires des deux exemples cités plus haut en vidéo. On trouve des excuses à l’agresseur automobiliste en stigmatisant le comportement soi-disant irresponsable des cyclistes, de tous les cyclistes. On met le doigt (à juste titre) sur certains comportements (feux rouges grillés par exemple, sorties en peloton, non passage sur une piste cyclable) pour justifier l’agression, sans se demander à un seul moment s’il n’y a pas une réaction disproportionnée d’un automobiliste décidant de prendre des risques avec la vie d’un cycliste pour lui reprocher simplement d’être là.
Une opinion parfois relayée par la presse locale, qui ne prend même pas de gants pour mettre d’emblée la faute sur le cycliste, même quand celui-ci est percuté par l’arrière.
Code de la route : les obligations des conducteurs de véhicules à moteur
- Pour doubler un cycliste, le véhicule « doit se déporter suffisamment pour ne pas risquer de heurter l’usager qu’il veut dépasser. Il ne doit pas en tout cas s’en approcher latéralement à moins d’un mètre en agglomération et d’un mètre et demi hors agglomération s’il s’agit d’un véhicule à traction animale, d’un engin à deux ou à trois roues, d’un piéton, d’un cavalier ou d’un animal » (Article R414-4 ). C’est le point le plus important de la cohabitation entre cyclistes et véhicules à moteur, car cela signifie que compte tenu des infrastructures routières, il y a des endroits où il est impossible de doubler en respectant la distance de sécurité. La prudence (et l’intelligence) impose donc de rester derrière le cycliste que l’on ne peut pas doubler.
- Les véhicules qui tournent à droite, ou à gauche doivent céder le passage aux cyclistes qui roulent sur des pistes (et bien sûr sur les bandes cyclables) qui traversent la chaussée sur laquelle il va s’engager. (R415-3 et R415-4).
- Depuis 2015, les conducteurs de véhicule peuvent chevaucher une ligne blanche pour doubler un cycliste en respectant la distance de sécurité, à la condition d’avoir la visibilité en face.
- Il est interdit d’entamer un dépassement lorsque vous croisez un cycliste sur la voie opposée.
- les routes interdites aux cyclistes sont clairement indiquées par des panneaux (par exemple autoroutes ou routes pour automobiles limitées à 110 km/h). Toutes les autres routes sont autorisées aux cyclistes et ne sont pas réservées aux automobiles. C’est aux conducteurs d’adapter leur vitesse aux conditions de visibilité et de circulation, pas aux cyclistes de s’interdire de rouler sur une route qu’ils contribuent à payer… grâce à leurs impôts.
- Il n’est pas obligatoire de passer le permis de conduire et donc de passer le Code pour faire du vélo sur la voie publique. Alors qu’un conducteur d’un véhicule à moteur doit bien évidemment avoir son permis. De ce fait, l’automobiliste doit toujours considérer que le cycliste est un usager fragile, peut-être moins expérimenté que lui, et dans tous les cas beaucoup plus exposé. Simple, non ?
Les pouvoirs publics, le gouvernement, sont bien sûr responsables de cet état de fait. L’État doit mener une campagne de sensibilisation. En 2019, 187 personnes sont officiellement décédées à vélo sur la route, soit 12 de plus que l’année précédente. Cette année 2020 laisse présager de chiffres encore en hausse, alors que le nombre total de décès sur la route est quant à lui en constante diminution. Là où il y a des panneaux, le respect des distances de sécurité est meilleur. Pourquoi ne pas le généraliser ?
La police ou la gendarmerie doivent accepter les plaintes, mener des enquêtes, poursuivre ceux qui non seulement provoquent des accidents, mais qui menacent de le faire en contrevenant clairement au Code de la route, au Code du vivre ensemble.
Teodoro Barduccio Président de l’Association Mon Vélo Est Une Vie et l’un des instigateurs du Permis vélo pour les enfants nous disait il y a peu « dans les problèmes de partage de la route, il y a bien sûr des choses à régler ensemble, aussi bien au niveau des comportements des automobilistes que de ceux des cyclistes. Néanmoins, on peut vouloir arrondir les angles et pour autant attendre de la justice des décisions exemplaires concernant les accidents graves ou mortels responsables, et qui aujourd’hui ne sont pas assez sanctionnés. » Car dans ce domaine, il serait vraiment temps que la peur sur la route change de camp. Un automobiliste doit prendre conscience qu’il manipule une arme potentielle, qui peut tuer. Que son comportement peut changer le déroulement de la vie de sa victime, de sa famille, mais aussi de la sienne, avec des risques de sanctions qui peuvent vraiment l’inciter à se montrer plus prudent, ou moins agressif. Nous n’avons jamais vu un cycliste tuer un automobiliste, même par imprudence.
Mais nous restons pessimistes, surtout quand on constate que les Forces de l’Ordre elles-mêmes ne respectent pas l’espace dévolu aux cyclistes sur la route, avec pour preuve ce Tweet où la Préfecture du Rhône se vante se contrôler la vitesse des automobilistes… en stationnant sur une bande cyclable !
Ainsi va le respect du cycliste aujourd’hui en France. Mais il est vrai que les chiffres de la Sécurité routière montrent une baisse de la mortalité sur les routes en France. Une baisse pour tout le monde, sauf pour les cyclistes. Donc tout va bien.
=> VOIR AUSSI : Tous nos articles Mag
Partager la publication « Un été meurtrier sur les routes : le vélo en danger »
Partager la publication "Un été meurtrier sur les routes : le vélo en danger"