Partager la publication "Les limites de l’interprétation des chiffres pour la performance"
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Aujourd’hui, l’obsession de la mesure frôle la démesure. Il en est de même en sport, en cyclisme et en course à pied notamment, avec les nombreux outils à notre disposition. Et si ces nombreux chiffres limitaient finalement l’épanouissement, et par la même occasion la performance ?
Par Jean-François Tatard – Photos : pixabay.com, pxere.com, commons wikipedia, DR
Les concepts les moins quantitatifs passent de plus en plus systématiquement par les logiciels à calcul : la qualité, la création de valeur, l’engagement, le stress, le bien-être… À un tel point que les idées qui ne sont pas mesurées en deviennent douteuses. Le sport ne fait pas exception, jusqu’à l’overdose, parfois.
La dictature du coaching de la performance et de la mise sous contrôle conduit à sans cesse rechercher, trouver et mettre en place des indicateurs adéquats (la vitesse, les pulsations, les watts, le poids, le rapport poids/puissance, l’oscillation du bassin, la répartition des appuis, le temps d’impact au sol, le nombre de pas, la cadence, etc). Ainsi si tout ce qui a son prix est de peu de valeur, est-ce que ce qui a son indicateur a plus de valeur ?
Finalement, nous avons suffisamment de recul pour tirer un premier bilan des vertus et des limites du pilotage par les chiffres. Et on va essayer d’en définir justement les opportunités et les menaces, en ce qui concerne cette manière d’évoluer et de faire évoluer.
Les avantages de l’objectif quantifiable
Vous fixer un objectif précis comporte plusieurs avantages indéniables : une concentration de l’attention sur les entraînements les plus pertinents, un effort plus important et soutenu dans la durée, une motivation accrue (notamment si l’atteinte de l’objectif est couplée avec des récompenses symboliques et d’ailleurs pas forcément financière), des possibilités de feedbacks réguliers du coach ou de vos copains d’entraînement qui permettent d’ajuster vos plans…
La volonté de bien faire, la satisfaction d’atteindre un objectif, la peur de ne pas être à la hauteur de vos partenaires, l’envie de reconnaissance ou de rentrer dans le cercle très fermé des moins de 3h au marathon par exemple ou du top 100 de l’Étape du Tour, la crainte de perdre l’estime des autres pour faire évoluer l’indicateur dans le sens voulu : cela fait donc belle lurette que les impératifs de performance quantitative sont sortis des usines et des rapports des analystes qui crachent, soignent, recrutent, draftent, pour se répandre dans quasiment toutes les sphères de la société et donc aussi dans l’entreprise pour laquelle vous évoluez quand vous n’êtes pas running aux pieds ou sur la selle. Pourtant, les dysfonctionnements inhérents au management par les chiffres et à la polarisation des consciences sur de simples compteurs ne peuvent être occultés.
Les risques d’être focalisé sur les chiffres
Le premier risque inhérent au coaching par les chiffres est que le court terme est optimisé au détriment du long terme. Les conditions de la réussite future sont sacrifiées sur l’autel de l’apparence de réussite immédiate. Cette tentation est d’autant plus forte que l’on sait que l’on n’aura pas à assumer personnellement les problèmes en gestation. On le constate très souvent dans l’économie actuelle et dans la gestion des entreprises malheureusement, mais aussi en politique.
Le deuxième risque, c’est la manipulation de l’indicateur plutôt que la réalité sous-jacente. Comme les chiffres sont parés des vertus de l’objectivité et de la vérité, la confiance aveugle qu’on leur accorde nous fait oublier que de petits malins savent les manipuler pour leur donner le contenu attendu. Un premier shoot à trois points dans le panier suffit au basketteur à avoir 100 % de réussite sur ce paramètre s’il s’arrête à ce tir. À grande échelle, et le but n’est pas de vous effrayer mais cela a même produit la faillite retentissante de Lehman Brothers, lorsqu’on a découvert avec stupéfaction que des bilans financiers, pourtant certifiés et parfaitement établis dans le respect des règles, étaient pourtant complètement fallacieux.
Comme les chiffres sont parés des vertus de l’objectivité et de la vérité, la confiance aveugle qu’on leur accorde nous fait oublier que de petits malins savent les manipuler pour leur donner le contenu attendu.
Le troisième risque, c’est que ce qui n’est pas mesuré est négligé. Les objectifs chronométriques ou mesurables font oublier la qualité du geste, la perception subjective de la souffrance ou à l’inverse du bien-être, l’introspection, l’extrospection et la satisfaction naturelle de ce que vous ressentez. Les athlètes, fatigués d’être « catalogués » sans considération par leur coach ou les interfaces de mesure en réseau abandonnent, et tous ces jeunes qui sont nés avec tous ces outils de mesure et qui ne connaissent absolument pas leur propre perception subjective laissent filer la qualité.
Le quatrième risque, c’est que pour contrebalancer les excès précédents et les effets pervers de ratios finalement beaucoup trop simplistes, on complexifie le système de mesure et on construit des « usines à gaz ». On dépense des fortunes pour collecter, traiter, mettre en forme et analyser les données. Compter jusqu’à 1000 € pour les montres cardio/GPS les plus performantes et il n’y a pas si longtemps, jusqu’à 4000 € pour un capteur de puissance. Les sous-systèmes sont optimisés au détriment du sport et de ce qu’on est capable de fournir avec son corps dans sa globalité. Et on perd au passage la vision d’ensemble et le sens de l’action collective, tant les indicateurs sont multiples et contradictoires. L’obsession du calcul nous a fait oublier que l’essentiel est ailleurs et ne se quantifie pas. Après un tour complet, on revient donc aux valeurs. Les valeurs primaires les plus simples : « les rêves ne se traduisent pas en arithmétique« . Le sourire, la joie, l’espoir d’un monde meilleur ne rentrent pas dans les tableaux de bord.
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Tout est question d’équilibre
Reste qu’il faut vivre aussi avec son temps. Car effectivement, il y eut aussi une époque ou avec deux silex on faisait du feu. Mais il faut savoir évoluer et se faire évoluer avec les outils qui eux aussi évoluent. Il faut juste ne pas rentrer dans le piège du sur contrôle. Ainsi faut-il faire la synthèse de la qualité et de la quantité dans la mesure, avec une poignée d’indicateurs pertinents et une bonne dose d’idéal fédérateur. Et si vous cessiez de tout contrôler et que vous tentiez (enfin !) de lâcher prise ? Et si vous arrêtiez de faire des choses qui vous ennuient et que vous vous concentriez sur ce que vous aimez aime au plus profond de votre cœur ? Histoire de retrouver votre candeur et le plaisir du relâchement. Combien pariez-vous que vous seriez encore meilleur ?
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