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Texte : Guillaume Judas – Photos : Orbea/ Pirelli / Mavic / Wouter Roosenboom / Irmo Keizer – Shimano / Christophe Guiard / 3bikes.fr
Dimanche 14 avril 2019 : dans le final de Paris-Roubaix, cinq des six coureurs échappés roulent avec des freins à disque. Une telle hégémonie est une première à ce niveau de compétition, surtout à Roubaix où la rapidité de dépannage en cas de crevaison est essentielle à la performance. D’ailleurs, Peter Sagan, vainqueur l’an dernier roulait encore en patins en 2018, alors qu’il a définitivement adopté les disques depuis quelques mois, sur toutes les courses comme sur Roubaix.
Leur usage ne se discute même plus à VTT, voire en Gravel ou en cyclo-cross tant ils ont modifié la fiabilité et les capacités de ces vélos destinés à rouler partout et sous toutes les conditions. Il est d’ailleurs étonnant de voir que le seul coureur de tête sur la grande Classique de pavés à rouler en patins est l’ancien champion du monde de cyclo-cross Wout van Aert. Mais il est vrai qu’il a choisi le montage d’un levier de frein supplémentaire sur le haut du cintre, un bricolage impossible avec des freins hydrauliques.
L’usage des freins à disque ne se discute même plus à VTT, voire en Gravel ou en cyclo-cross, tant ils ont modifié la fiabilité et les capacités de ces vélos destinés à rouler partout et sous toutes les conditions.
Disputé dans des conditions sèches, Paris-Roubaix n’est pourtant pas normalement le terrain de prédilection du freinage à disque. La course se dispute sur un terrain presque plat, et ce n’est pas là que la supériorité du freinage à disque par rapport au freinage traditionnel sur jante est censée s’exprimer. Marcel Kittel avait été le premier à ouvrir la voie en 2017, en s’imposant sur cinq étapes du Tour de France avec un vélo équipé de freins à disque – ce qui était une révolution à l’époque. Sauf que le sprinter allemand n’avait gagné que des étapes de plat, reprenant un vélo avec des freins à patins dès que le peloton abordait la montagne, un terrain où le freinage à disque doit normalement montrer sa supériorité, si l’on en croit les arguments des constructeurs et équipementiers.
Même si un certain nombre d’équipes et de coureurs résistent encore, on sait qu’il existe un « lobby » du disque. La pression est très élevée du côté de certains fabricants, qui verraient d’un très bon œil le renouvellement entier du parc de vélos et de roues. Et pour accélérer le mouvement, rien de tel que de montrer des champions rouler avec des disques quelles que soient les conditions, même si pour eux l’intérêt technique n’est pas des plus évidents.
Le positionnement du disque « coûte » de 2 à 4 watts à 45 km/h, en fonction de l’angle du vent. Une légère perte qui peut être annulée avec l’utilisation d’un axe traversant sans levier. Mais dans ce cas, une clé allen est indispensable au démontage de la roue, ou une visseuse pour les mécaniciens professionnels. S’y ajoutent les problèmes de standards avec des tailles de disque différentes et même leur emplacement sur le moyeu. Un dépannage en quelques secondes est donc plus difficile à réaliser, même si on connait la capacité d’adaptation des mécanos des équipes pros.
D’un autre côté, le freinage à patins n’a aussi jamais été aussi bon, avec des étriers rigides, légers et fiables, des gommes spécifiques pour l’aluminium ou le carbone toujours plus efficaces, et des surfaces de freinage sur les roues en carbone enfin rassurantes sur le sec comme sur le mouillé. Les équipementiers continuent de toute façon à proposer des groupes avec les deux types de freinage. En revanche, du côté des marques de vélo, le choix commence à se restreindre, avec certains modèles uniquement proposés pour le freinage à disque. Reste que ce choix est parfois judicieux pour d’autres raisons que le freinage comme nous le verrons plus loin.
Des évolutions majeures
Certains des défauts rédhibitoires des premiers systèmes proposés ont été gommés ces derniers temps par les trois grands acteurs du marché de l’équipement. Avec son système DB, Campagnolo limite la prise de poids des groupes ainsi équipés, et installe des petits ressorts derrière les plaquettes qui favorisent le retour du frein et limitent les bruits de frottement lors des relances ou après de gros freinages. Sram avec son système HRD a été la première marque à proposer un réglage du point de contact, pour limiter la course morte du levier avant d’actionner le freinage. Enfin, avec les derniers Dura-Ace et Ultegra Disc, Shimano propose une belle intégration du réservoir d’huile à l’intérieur de la poignée, pour qu’elle soit identique ou presque au système traditionnel.
Des évolutions majeures qui ne modifient pas toutes les spécificités du freinage à disque et dont il faut tenir compte : le surpoids de l’ensemble, une légère perte d’aérodynamisme du frein en lui-même, des bruits récurrents au freinage, voire en roulant et un réglage extrêmement pointu.
Un matériel spécifique
On ne passe pas d’un freinage traditionnel au freinage à disque d’un claquement de doigts. Vélos et roues sont spécifiques, ce qui impose un changement total de système, et l’impossibilité de réutiliser les anciennes roues. Cadre et fourche sont renforcés pour recevoir les étriers, situés près de l’axe des roues, et pour supporter les contraintes du freinage. Les roues sont spécifiques, car recevant les disques près des moyeux. Là encore, les contraintes exercées lors des freinages imposent un rayonnage plus solide, avec plus de rayons et/ou une disposition différentes de ceux-ci au montage. Comme les jantes doivent toujours supporter la pression des pneumatiques (inutile d’espérer un allègement spectaculaire de ce côté-là) et qu’un freinage puissant va de pair avec des pneus de plus grosse section, les roues pour disques sont plus lourdes d’environ 200 g que des roues traditionnelles. Les axes traversants remplacent les blocages rapides, pour plus de rigidité et limiter les flottements du disque au sein de l’espace très réduit entre les plaquettes de frein.
Un vélo à disque pèse de 500 à 800 g de plus que son équivalent à patins de même niveau de gamme.
Un bon cadre pour ce type de freinage doit aussi être renforcé au niveau de la boîte de pédalier pour une rigidité homogène de l’ensemble du vélo. Ceci rajoute encore un peu de poids, tout comme le système en lui-même. Chez Campagnolo, le surpoids des étriers, poignées et disques est de 120 à 240 g environ, chez Sram et Shimano il est de 300 à 350 g environ. Au final, un vélo à disque pèse de 500 à 800 g de plus que son équivalent à patins de même niveau de gamme.
Ce surpoids est indolore ou presque dans le très haut de gamme, car les vélos de compétition restent de toute façon restreints par la limite UCI à 6,8 kg. Un vélo de pro à disque autour de 7 kg est donc courant aujourd’hui. Par contre, en entrée et en milieu de gamme, l’addition commence à être salée, et le surpoids s’ajoute au comportement plus pataud des vélos avec des accessoires qui manquent en plus de nervosité. Pour une utilisation sportive, un vélo à disque de plus de 8 kg devient handicapant, et parfois même décevant surtout compte tenu du rapport prix-performance défavorable au disque. Ensuite, si l’UCI se décide enfin à descendre le poids limite des vélos (instauré il y a près de 20 ans), les constructeurs de vélos à disque vont avoir beaucoup de mal à rivaliser avec les vélos à patins dans certaines conditions, pour une utilisation en montagne par exemple.
Plus de sécurité ?
Le freinage à disque est puissant, progressif et insensible à la boue ou à l’humidité. Ce qui normalement diminue les distances de freinage, aussi bien sur le sec que sur le mouillé, tout en assurant une constance de ralentissement qui peut à l’inverse poser problème avec un système traditionnel, lorsque la jante monte en température, que les patins s’usent et que le câble se détend. Les plaquettes et les disques se changent plus rarement que des patins, et les jantes carbones ne sont pas exposées lors de chaque freinage.
Cependant, la puissance du freinage peut aussi dépasser les capacités d’adhérence des pneumatiques dans certaines conditions. Pour y remédier, les constructeurs proposent des vélos avec des pneus plus larges. Les vélos gagnent en tenue de route, mais perdent en nervosité.
La qualité du freinage peut être sérieusement altérée dans de longues descentes, en maintenant la pression sur les disques, ce qui a pour effet de les faire monter en température. Les voilages des disques sont donc nombreux après une utilisation intensive et une succession de fortes sollicitations.
Les disques ne règlent donc pas le problème de ceux qui ont peur de prendre de la vitesse dans les descentes de col, où mieux vaut adopter un freinage agressif, en ralentissant très fortement à l’entrée des courbes et en relâchant les freins dans les lignes droites. Pour un freinage qui ne bloque pas les roues à la moindre action sur les poignées, il faut des disques adaptés au poids de l’utilisateur. Sur route les vélos sont équipés de disques de 140 ou de 160 mm, qui diffèrent nettement en termes de ressenti.
Les disques ne règlent pas le problème de ceux qui ont peur de prendre de la vitesse dans les descentes de col.
Pour finir, se pose la question de la proéminence des disques, qui peuvent se révéler tranchants en cas de chute collective, surtout après une longue descente lorsque les freins ont été fortement sollicités et qu’ils sont surchauffés. Mais le vrai problème en peloton est à chercher du côté de la cohabitation entre disques et patins, puisque les adeptes de l’un ou de l’autre système n’adoptent pas les mêmes attitudes.
Le système hydraulique
L’entretien du système hydraulique des freins à disque nécessite du temps et du savoir-faire. L’avantage de ce système réside dans le liquide installé dans les gaines, depuis la poignée jusqu’aux étriers, à la place d’un câble. Ce liquide, actionné par un maître-cylindre dans la poignée lors du freinage, décuple la force exercée par les doigts lors du freinage. D’où une impression de douceur et de constance dans le freinage. La pression du liquide doit être constante dans le système, l’air ou l’humidité ne doivent pas altérer le montage. Le système peut être fragilisé lors du transport du vélo, avec des fuites qui peuvent se produire, rendant le freinage inopérant, ou si une poignée est malencontreusement actionnée à vide, ce qui a pour effet de tout dérégler.
Le budget relatif à l’entretien n’est pas à négliger, d’autant plus que rares sont les pratiquants à vraiment pouvoir le faire eux mêmes.
Pourtant, ce système a aussi permis d’autres avancées en termes de performances du vélo. En effet, une durite avec un liquide hydraulique à l’intérieur est beaucoup plus souple qu’un câble de frein traditionnel avec sa gaine. Les cheminements de la durite entre le levier et le frein peuvent être ainsi beaucoup plus complexes qu’avec un câble, sans altérer le fonctionnement de l’ensemble, ce qui permet de la dissimuler totalement ou presque à travers le cintre, la potence, la douille de direction et le cadre ou la fourche.
Dans ce sens, le freinage à disque permet d’épurer le poste de pilotage des vélos les plus modernes, et de les rendre plus fluides et plus aérodynamiques. On a dit plus haut que le disque sur la roue avant coûtait de 2 à 4 watts à 45 km/h, mais son montage sur certains vélos, s’il est toujours complexe, permet de gagner des watts par ailleurs en éliminant la trainée aéro des gaines sur l’avant du vélo.
Sans compter que les axes traversants de 12 mm sont bien plus rigides qu’un système de blocage rapide traditionnel, ce qui a pour effet d’optimiser la liaison entre le cadre et les roues.
Les disques, oui mais…
Certains vélos les plus récents, conçus autour du freinage à disque, sont donc extrêmement performants, aussi bien dans le domaine de la rigidité que de l’aérodynamisme. Des vélos à l’intégration parfaitement réussie, et qui pourront sans aucun doute bénéficier des avancées d’un système qui doit encore évoluer dans un proche avenir pour combler ses quelques lacunes. Mais il faut investir dans ce cas dans des vélos très haut de gamme, les seuls à rivaliser en termes de performances avec leurs homologues à patins à l’heure actuelle.
À ce jour et si l’on parle uniquement de freinage, le disque est supérieur aux patins, mais pas au point de s’imposer pour tous et dans toutes les conditions. Car des étriers traditionnels avec de bonnes jantes et de bons patins font très bien le boulot, tout en étant moins chers, plus légers, plus faciles à entretenir et en n’agaçant personne avec des bruits de frottements lors des relances en danseuse. C’est plutôt pour toutes les perspectives que le système dans son ensemble peut offrir qu’il devient intéressant. La vraie révolution, ce sera quand un vélo de milieu de gamme à disque se montrera aussi léger et dynamique que son homologue à patins.
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