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Par Guillaume Judas – Photos : Wouter Roosenboom/Irmo Keizer/Shimano – Campagnolo – Retul Fit – 3bikes.fr
Les anciens ne s’en lassaient pas : « Tourne les jambes (plus vite), mets un braquet plus souple ! » La base de l’apprentissage de nos gammes cyclistes. Éducateurs ou coureurs expérimentés ont transmis ce message depuis des décennies, comme le seul conseil indispensable pour faire carrière. Et c’est assez vrai. Les méthodes d’entraînement modernes ont certes apporté leur lot de progrès pour tous, mais elles ont parfois relégué aux oubliettes les principes de prudence et de cohérence les plus élémentaires. Tourner plus vite les jambes à puissance et vitesse de déplacement égales n’a donc pas été inventé par Lance Armstrong en 1999, ni remis au goût du jour par Chris Froome depuis. Ils ont simplement adapté le concept à leurs capacités et grâce à l’utilisation d’outils tels que le capteur de puissance, en démontrant que tourner vite les jambes pouvait être beaucoup plus efficace que de pédaler en force.
Qu’est-ce que la cadence ?
La cadence de pédalage, c’est le nombre de tours de manivelle par minute. Simple à comprendre au premier abord, surtout que naturellement, pour tenir l’équilibre ou pour gérer un effort sur la durée, n’importe quel débutant adopte une cadence ni trop élevée, ni trop lente. S’il tourne les jambes trop vite, il s’essouffle. S’il les tourne trop lentement, soit il n’avance pas, soit il ressent encore plus ses muscles et ses articulations. Il comprend vite alors qu’à l’instar du régime moteur d’une voiture, il existe une bonne plage de cadence, en fonction du terrain, de l’intensité de l’effort, et de l’environnement. Et qu’un dérailleur ainsi qu’une gamme de développements adaptée à son niveau peuvent être bien utiles.
C’est quoi la bonne cadence ?
Généralisons volontairement pour se donner une idée des chiffres. Sur le plat, la cadence de pédalage « idéale » se situe autour de 90 tours par minute. En côte, elle est plutôt autour de 75 tours par minute. Cela dépend surtout du niveau du cycliste et de l’intensité de son effort, et de son style aussi. Un cyclotouriste utilise un braquet modeste pour s’économiser et persévérer dans son effort au long cours, mais il tourne moins vite les jambes qu’un pro dans les derniers kilomètres d’une étape de plaine avec son 53 x 11. « Mouliner« , sous-entendu « tourner plus vite les jambes que la moyenne ou que ce qui serait spontanément adopté » n’est donc qu’une référence aux chiffres cités plus haut. En dessous, on parle de pédalage en force. La bonne cadence n’est pas obligatoirement la même pour tout le monde. C’est un ordre d’idée plutôt qu’une règle absolue.
Sur le plan physiologique
Selon différentes études sur le coût énergétique du pédalage, la cadence la plus économique se situerait bien en dessous de ce qui est spontanément adopté, du moins pour les pratiquants réguliers. Ce serait en effet autour d’une cadence de 60 tours par minute que l’efficacité du pédalage serait la meilleure. Les valeurs évoquées plus haut correspondent à une zone d’équilibre avec un bon rapport entre le souffle et les tensions musculaires. Pour certains, il semble pourtant naturellement plus facile d’enrouler du braquet à basse fréquence que de se forcer à mouliner, avec cette désagréable sensation de ne pas sentir de résistance sous la pédale. Mais rouler trop en force, avec une cadence de pédalage trop faible, induit plus de tensions musculaires, de courbatures, et nuit ainsi à la récupération après l’effort.
Pourquoi la cadence ?
On trouve surtout cinq avantages à rouler avec une cadence de pédalage élevée, à vitesse égale :
- Préserver les fibres rapides des muscles des jambes. Et donc les économiser pour les phases clés du parcours ou de l’épreuve, souvent en fin de sortie. Car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est en pédalant plus en force que les fibres rapides sont utilisées au détriment des fibres lentes.
- Favoriser les changements de rythme, les accélérations brutales et les relances en sortie de virage. Une cadence de pédalage élevée, ou du moins être capable de l’adopter, est indispensable pour être à l’aise au milieu des soubresauts d’un peloton, avec de nombreux à-coups. Les subir avec un pédalage trop en force expose à un risque d’explosion prématurée, à cause d’une musculature trop sollicitée.
- Optimiser l’oxygénation musculaire ainsi que le relâchement des fibres au cours du cycle de pédalage. En multipliant le nombre de rotations du pédalier et donc les passages aussi courts soient-ils aux points morts haut et bas, la musculature se trouve moins sollicitée qu’en pédalant en force et avec une pression constante sur les pédales. C’est un avantage indéniable pour les efforts longs, indépendamment de la production de puissance.
- S’économiser. Car à la fin d’une épreuve de montagne, être à court de forces sur un braquet trop important limite considérablement la vitesse d’ascension. Un braquet plus souple permet d’aller plus loin, en s’économisant, malgré l’intensité de l’effort.
- Plus de marge de progression. La puissance, c’est force x cadence. Or, nous sommes tous à un moment donné limités dans notre progression par la force de nos muscles (mais nous y reviendrons prochainement, cela mérite un sujet !). En travaillant la cadence, on peut ainsi progresser en puissance malgré tout.
Cadence et puissance
Beaucoup font l’erreur de confondre force et puissance. La puissance développée par un cycliste, c’est le produit de la force appliquée sur les pédales associée à la vitesse à laquelle on les tourne. On peut donc produire une puissance équivalente (en watts) avec beaucoup de force et une faible cadence ou avec relativement peu de force et beaucoup de cadence. Si on prend l’exemple de deux cyclistes du même poids qui grimpent un col côte à côte, ils produisent la même puissance même si l’un évolue à 85 tours par minute sur un petit braquet pendant que l’autre roule à 65 tours par minute avec le grand plateau. Dans les deux cas, leur progression n’est limitée ni par la force instantanée ni par la cadence en elle-même, mais plutôt par leur capacité à produire de la puissance. Pour être capable de rouler en force, il faut des muscles et des tendons solides, alors que pour mouliner, il faut surtout une coordination optimale. Pour espérer progresser en puissance, il est nécessaire de travailler les deux qualités.
Cadence et matériel
Si on observe les coureurs professionnels d’aujourd’hui, on remarque qu’ils tournent plus vite les jambes qu’autrefois, surtout en montagne ou lors des phases de course intenses. Désormais, les coureurs disposent d’une plage de développements disponibles plus importante qu’autrefois, avec des cassettes dont le départ est à 11 dents (voire 10) et un grand pignon jusqu’à 28, 30 voire 32 dents, et des plateaux disponibles de 34 à 55 dents. Un avantage pour s’adapter à tous les terrains, mais également une nécessité pour s’adapter à la rudesse du matériel. En effet, cadres et roues sont maintenant beaucoup plus rigides que par le passé, ce qui les rend beaucoup plus efficaces à haute vitesse, mais aussi beaucoup plus exigeants à basse vitesse. Avec un vélo « souple » en acier et des jantes plates comme dans les années 80, la flexibilité de l’ensemble autorisait à rouler en force en montagne par exemple sans buter sur la rigidité du cadre. Et de passer en quelque sorte le verrou des points morts haut et bas du cycle de pédalage, grâce à la déformation latérale de la boîte de pédalier. Avec un vélo rigide, il est indispensable de rester bien en ligne et en parfaite coordination pour bénéficier de son efficacité. D’où l’importance de braquets plus souples. Mais bien qu’ils tournent plus vite les jambes, les pros d’aujourd’hui produisent autant voire plus de puissance, et grimpent au moins aussi vite qu’autrefois. Et en étant moins blessés en plus, puisqu’on ne parle plus, ou très rarement de tendinites par exemple.
Cadence et intensité de l’effort
À la lumière de ce que nous avons vu plus haut, il apparait que la cadence de pédalage optimale dépend aussi de l’intensité de l’effort. Quel que soit son niveau, le cycliste recherche spontanément à adopter une cadence confortable et/ou efficace. Pour un effort très long, il diminue sa cadence, par souci d’optimiser le coût énergétique du pédalage, tout en évitant de ressentir des tensions musculaires. Il enroule. Plus l’effort est court et intense, plus il augmente sa cadence, afin de produire de la puissance, car sa force musculaire seule ne suffit pas. Sur un contre-la-montre, la cadence généralement adoptée par les grands rouleurs se situe autour de 100/105 tours par minute. Sur un long effort d’endurance comme sur une épreuve ultra, les participants sont plutôt autour de 80. En montagne, les valeurs sont moindres car il faut compter avec la nécessité d’appliquer du couple sur l’ensemble du cycle de pédalage pour être efficace.
LA FRÉQUENCE DE PÉDALAGE EN MONTÉE C’est dans les montées que la notion de puissance prend tout son sens, puisqu’il faut avant tout lutter contre la gravité. Dans les bosses courtes, on peut se permettre de passer en force et en tonicité, façon long sprint, parce que c’est souvent le seul moyen d’effacer la difficulté. Les bosses longues ou les cols, en revanche, sont abordés différemment, de manière à trouver l’équilibre entre intensité et durée de l’effort. La bonne fréquence de pédalage prend ici tout son sens, même si les références sont différentes par rapport à celles des parties plates. En tout premier lieu parce que le cycliste est en montée, à la recherche d’une bonne motricité, et qu’il ne peut se contenter de profiter de l’inertie de la rotation des pédales dans ce cas précis. Lors du cycle de pédalage, quand la jambe remonte, il faut l’aider en tirant sur la pédale, en même temps que l’autre jambe pousse sur l’autre manivelle. Cet enchaînement rend plus difficile la coordination. Les exercices pour progresser en fréquence en montée sont identiques à ceux que l’on peut imaginer sur le plat. Mais sur le terrain approprié, bien sûr. |
Comment gagner de la cadence de pédalage ?
Une cadence de pédalage bien choisie en fonction des circonstances dépend des qualités neuromusculaires intrinsèques ainsi que d’une bonne coordination gestuelle. Il faut savoir néanmoins que la marge de manoeuvre n’est pas si importante. Gagner 10% de cadence par rapport à celle qu’on adopte spontanément n’a pas d’impact sur le coût énergétique du pédalage, mais au-delà le jeu n’en vaut pas la chandelle. Pour progresser dans le domaine, la position sur le vélo doit être parfaite.
Elle commence par le positionnement des cales sous les chaussures, ni trop en arrière pour bloquer la cheville, ni trop en avant pour la déstabiliser. Ensuite, la hauteur et le recul de selle doivent permettre de conserver la fixité du bassin aussi bien lors des phases de pédalage en force que des phases en hyper-vélocité. Au niveau de l’entrainement, on peut commencer par effectuer les premières centaines de kilomètres de la période foncière avec un braquet moyen, à fréquence de pédalage limitée. Paradoxal ? Non car ce pédalage en enroulant permet de poser les bases, de travailler les automatismes, d’habituer les chaines musculaires à travailler ensemble et à valider la position.
C’est ensuite que, progressivement, on réduit le braquet sur certaines séances ou certains intervalles dans les séances. En fractionnant les efforts, en visant une cadence de 110 à 120 tours par minute, à une intensité cardiaque autour de 80 % de la FC max, de manière à pouvoir reproduire l’exercice sans fatigue excessive. Un plan d’entraînement intégrant ce type de travail technique alterné avec des séances de force ou de musculation spécifique sur le vélo est donc tout à fait envisageable pour travailler et entretenir la coordination du coup de pédale. D’autres exercices sont possible pour améliorer la coordination musculaire, comme des sprints courts avec un petit braquet, ou des séquences à vélocité maximale dans les faux plats descendants.
MESURER SES PROGRÈS Pour améliorer la fréquence de pédalage moyenne, il faut travailler sa fréquence maximale. Plusieurs exercices sont envisageables avec un compteur de vitesse et un capteur de cadence. L’utilisation d’un capteur de puissance est un must dont ne peuvent se passer les coureurs professionnels sérieux. Au niveau cyclosportif ou coureur régional, il est toutefois possible de mesurer ses progrès de manière simple. Effectuer des sprints courts avec braquet limité en est un. On constate l’amélioration en vitesse maximale de semaine en semaine. L’autre solution consiste à pédaler au maximum avec un braquet limité dans une légère descente (choisir toujours la même et tenir compte des conditions climatiques), et on mesure grâce au capteur la fréquence maximale atteinte. Pour info, les meilleurs pistards ou pilotes de bicross dépassent les 200 tours par minute en fréquence de pédalage maximale. |
De fréquents rappels
Durant la saison, de fréquents rappels permettent de conserver cette réserve de vélocité utile pour la tonicité générale sur le vélo. Si l’on considère que la cadence de pédalage idéale sur le plat se situe entre 90 et 100 tours par minute pour produire la puissance la plus intéressante, c’est donc en s’exerçant avec des cadences plus élevées et plus basses que l’on obtient le meilleur résultat. Pour rouler plus vite et/ou plus longtemps, c’est toujours la puissance qu’il faut chercher à développer. La fréquence de pédalage est tout bonnement une des composantes fondamentales de cette même puissance.
IDÉES REÇUES SUR LE PÉDALAGE EN SOUPLESSE Mouliner coupe le souffle. Faux : si l’organisme est bien entraîné, le souffle court correspond à une production de puissance surévaluée par rapport à ses capacités. On peut avoir le souffle court en roulant avec un braquet trop gros. Si je garde le petit plateau, je mouline. Faux : certains développements avec le petit plateau et un petit pignon de la cassette sont plus importants qu’avec le grand plateau et un grand pignon. Pour un meilleur rendement, il faut avant tout tenir compte de la ligne de chaîne. Seuls les cyclotouristes moulinent. Faux : les coureurs cyclistes, a fortiori les pros, tournent vite les jambes, même s’ils sont capables de développer beaucoup de force sur un effort court pour faire la différence, rendant l’action spectaculaire. En réalité, plus le niveau du cycliste est élevé, plus sa marge de manœuvre dans un sens comme dans l’autre (force/vélocité) est élevée. En mettant un braquet de pro, je vais rouler aussi vite qu’un pro. Faux : vous n’avez pas la force et la puissance d’un pro. Du moins pas encore. Si vous voulez imiter les pros, imitez plutôt leur cadence de pédalage, notamment en fin d’étape sur le Tour de France. Si je mouline tout l’hiver, je vais être plus performant l’été venu. Faux : la performance ne peut intervenir qu’en développant toute l’étendue de ses qualités. La vélocité est une de ces composantes parmi d’autres et ne saurait suffire à gagner des courses ou des cyclosportives. Il vaut mieux mouliner en roulant seul plutôt qu’en groupe. Faux : mouliner en groupe, en profitant de l’abri ou des changements de rythme choisis par les coureurs de tête, favorise la vivacité et reproduit les conditions de course. Seul à l’entraînement, il est possible en revanche de travailler spécifiquement, à une fréquence de pédalage prédéterminée (avec un capteur de cadence, en option sur de nombreux compteurs). Pour mouliner en course, il ne faut jamais mettre la plaque à l’entraînement. Faux : être à l’aise et pouvoir tourner les jambes en course pour s’économiser implique avant toute chose de disposer d’une réserve de cadence ainsi que d’une réserve de force. C’est en travaillant les extrêmes que l’on optimise le coup de pédale. En roulant de longues heures à l’allure d’un cyclotouriste, je vais apprendre à mouliner. Faux : pour apprendre et intégrer le fait de bien tourner les jambes, il est plus intéressant de les tourner très vite sur de courtes périodes que longtemps à faible intensité. Pour toute forme de progrès, de toute façon, le travail en intermittence s’avère le plus rentable. |
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